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Étiquette : Londres

La momie de Jeremy Bentham

De retour d’un voyage à Londres qui m’a permis d’emmener ma petite famille à l’University College de Londres (UCL)  pour « rencontrer » Jeremy Bentham, en fait, sa momie.

Philosophe du XVIIIè siècle, Bentham (1748 – 1832) est un philosophe, père de l’utilitarisme qui promeut le bonheur de la communauté, le bonheur de la population dans son entier : une action n’est utile que si elle procure du plaisir, du bonheur, du bien-être à son auteur. L’utilitarisme est une philosophie qui fait de l’utilité le seul critère de moralité, c’est « le principe du plus grand bonheur du plus grand nombre, chacun comptant de manière égale ». Bentham met même au point une méthode scientifique de calcul du bonheur et des peines : le calcul félicifique (felicific calculus).

En France, nous connaissons surtout Bentham pour son Panoptique, concept architectural de « prison modèle », que Michel Foucault a repris dans ses recherches sur les sociétés de surveillance (cf. son livre Surveiller et punir). Pourtant, Bentham n’est ni architecte, ni geôlier. Il cherche à orienter les individus vers un comportement qui, coordonné quasi-quotidiennement avec celui des autres, conduit à une combinaison d’actions produisant le plus grand bonheur, tout en étant associé à un principe d’économie et un principe de sécurité. C’est là que le concept panoptique s’impose. Bentham est ainsi en mesure d’avancer un dispositif fonctionnel à la fois pour des prisons, des asiles de fous, des hôpitaux, des maisons de travail pour les pauvres, des écoles, et finalement pour surveiller l’appareil gouvernant. Tout cela au nom de la recherche du bonheur collectif. Ca calme.

Mais ce que je trouve de plus remarquable, ce sont les dernières volontés de Bentham. J’ai traduit un extrait de son testament ci-après :

Je lègue mon corps à mon cher ami, le docteur Southwood Smith, pour que mon corps soit disposé de la manière mentionnée ci-après, et je demande… qu’il prenne en charge mon corps et prenne les mesures nécessaires et appropriées pour l’élimination et la préservation de plusieurs des parties de ma structure corporelle de la manière exprimée dans le document annexé à ce testament et en haut duquel j’ai écrit Auto Icône. Il fera mettre en place le squelette de telle manière que le personnage puisse être assis sur une des chaises où j’ai été habituellement assis de mon vivant, dans l’attitude dans laquelle je suis assis lorsque je réfléchis et que je suis plongé dans l’écriture. Je demande que le corps ainsi préparé soit transféré à mon exécuteur testamentaire. Il fera en sorte que le squelette soit vêtu d’un des costumes noirs que j’ai eu l’occasion de porter. Il prendra en charge le corps ainsi vêtu, avec la chaise et la canne que j’utilisais dans mes dernières années, et pour contenir l’ensemble, il fera préparer une armoire appropriée et fera graver en caractères bien visibles, sur une plaque à apposer dessus, ainsi que sur les étiquettes des récipients en verre dans lesquels les préparations des parties molles de mon corps doivent être contenues… mon nom avec au bout les lettres ob: suivi du jour de mon décès. S’il devait arriver que mes amis personnels et d’autres disciples soient disposés à se rencontrer un certain jour de l’année dans le but de commémorer le fondateur du plus grand système pour le bonheur au service des principes moraux et législatifs, mon exécuteur testamentaire amènerait alors dans un coin de la pièce où le groupe se rencontre ladite armoire avec son contenu.
Queens Square Place, Westminster, Mercredi 30 May 1832.

Jeremy Bentham décède 7 jours plus tard, le 6 juin 1832. Il est disséqué dans le cadre d’une conférence publique, embaumé et exposé par son ami médecin conformément à ses dernières volontés. Vous trouverez maintenant son auto-icône, conservée depuis 1850, dans une vitrine de l’University College de Londres (South Cloisters Wilkins Building Gower Street WC1E 6BT). Le visage exposé est maintenant en cire, je vous passe les détails sur ce qui est arrivé à la tête momifiée, c’est encore une autre histoire. Si vous vous perdez, demandez aux professeurs et étudiants que vous croiserez, ils connaissent l’emplacement de la momie.

La momie est à droite 🙂
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