Ce soir se tenait à l’Athénée Municipal de Bordeaux une conférence de 3 heures sur les prisons organisée par l’Observatoire International des Prisons. L’OIP défend les droits et la dignité des personnes détenues.
Tout a commencé avec la projection du court-métrage “Quand le bâtiment va” réalisé par Jean Rubak et Amélie Compain avec les détenus de la prison de St Martin en Ré dans un local sans fenêtre de 18 m² (soit l’équivalent de 3 cellules). Cette oeuvre de fiction a été projetée en 2014 au Festival international du film de la Rochelle. Elle aborde avec dérision l’aspect économique de la prison, un système qui repose sur l’existence des détenus.
Le débat qui a suivi impliquait des militants et des professionnels qui ont reposé la question du rôle de la prison. La prison punit par la privation des libertés, elle n’assume pas sa mission de réinsertion (pouvoir sortir avec un projet à l’extérieur). Il y a très peu de choses utiles qu’on puisse y faire : éventuellement apprendre à lire ou écrire, être soigné(e).
Le code du travail ne s’applique pas en détention, on parle d’actes d’engagement, donc pas de salaire minimum, pas de congé, pas d’arrêt-maladie, … et il est difficile d’envisager un CDI pour des postes avec beaucoup de candidats. L’Administration Pénitentiaire classe ou déclasse les détenus : entre 100 et 150 € / mois pour les auxiliaires de détention à plein temps, et seulement 2 à 3 € / heure pour les autres dont le travail devient hautement aléatoire. Seulement 25% de la population carcérale a un accès au travail, soit une moyenne de 1h30 / semaine. La pauvreté en prison a des conséquences, on parle des indigents, je ne détaillerai pas tant la situation est sordide. L’argent en détention aggrave les inégalités. Ce qui fait que les personnes tiennent malgré tout, ce sont les réductions de peine : travailler en détention, ne pas embêter les surveillants, mettre un peu d’argent sur le compte de la partie civile. C’est cette idée de la réduction de peine qui permet de supporter l’insupportable et qui participe à l’espoir d’une sortie.
Malgré l’entassement et la précarité, un détenu coûte 100 € / jour à l’Etat français. Il y a environ 68 000 personnes détenues dans 190 établissements. Le taux d’occupation moyen est de 115% avec des pics à 240%. La cellule d’une Maison d’Arrêt type est de 9 m², on y trouve deux lits superposés et un matelas par terre pour accueillir le troisième détenu non prévu. Les conditions sont inhumaines et dégradantes pour des personnes qui n’ont pas forcément d’activités (à part une télé). La situation est pénible pour les détenus ainsi que pour les surveillants qui ne savent plus où donner de la tête et qui sont à cran. Paradoxalement plus on crée de prisons, plus il y a de prisonniers (effet cumulatif). Le bracelet électronique, c’est la prison à domicile, cela évite la désocialisation, mais pas la récidive faute d’accompagnement. En Gironde, on compte en permanence entre 150 et 200 personnes munies d’un bracelet électronique.
Le monopole de l’Etat, c’est la surveillance. Le parc pénitentiaire a été privatisé depuis 1988 et tout a été sous-traité à travers des marchés publics pour tirer les coûts vers le bas. Les prisons récentes ont été construites sur la base d’un partenariat public-privé, un montage financier extrêmement risqué pour les finances publiques. L’Etat est devenu un bailleur à long terme (30 ans), ce qui amortit à court terme le poids de l’investissement mais qui multiplie le coût du loyer par 5 à la fin, sachant qu’on ne peut pas rompre un marché public… L’Etat devra débourser 1,4 milliards d’euros d’ici 2040 ! Ces dépenses incompressibles diminuent les investissements pour la réinsertion. De plus, tout se fait à distance dans ces établissements modernes, ce qui mène à une forme de déshumanisation, les détenus préfèrent “la vieille taule d’avant” où le contact humain est encore possible.
La France est très en retard sur des mesures alternatives à la prison. Peut-on remettre en cause le principe même de l’incarcération comme punition ? on parle de contrainte pénale, justice restauratrice, groupes de parole, programme de prévention de la récidive, peine d’intérêt général (TIG), …
En vrac quelques phrases qui ne m’ont pas fait sourire :
- “Il y a toujours une partie de nous-même qui reste à l’intérieur de la prison.”
- “J’avais besoin de faire mes comptes d’apothicaire (avec les différentes réductions de peine) pour m’inventer un avenir. Sinon, j’étais pris dans une chaîne temporelle circulaire, je refaisais exactement la même chose chaque jour.”
- “La prison, c’est surtout le Pôle emploi de la délinquance où on fabrique des fauves ou des loques.”
- “Le prison offre un avantage : elle permet de regarder notre société par son côté le plus sombre, elle est le voyant des dysfonctionnements de la société.”
- “La Direction d’un établissement ne peut pas dire stop, donc on entasse.”
- “On essaye de baisser le prix des prestations hôtelières, parce que finalement une prison, c’est une sorte d’hôtel.”
- “Etre privé(e) de liberté ? on n’a pas trouvé mieux comme sanction depuis 1830, c’est déjà mieux que le bûcher ou l’écartèlement.”
- “On a défini la politique carcérale générale à partir des cas les plus graves qui sont les plus rares.”
- “La prison ne fait pas changer par rapport au passage à l’acte. Elle neutralise, c’est tout.”
- “Les détenus longue durée sont victimes d’un phénomène de sur-adaptation carcérale, lorsqu’ils sortent, ils sont coupés de la réalité, ont des problèmes d’orientation, ils ne reconnaissent plus la monnaie, un parcmètre, …”
- “Beaucoup de juges militent pour le choc carcéral : 2 à 3 mois en prison et on ne le reverra plus ! ça ne marche que pour les honnêtes gens… pour les autres, il s’agit d’un rite initiatique.”
- “Aux Etats-Unis, le contrat de partenariat public-privé contient une clause d’obligation d’occupation des établissements construits, entre 80 et 100%, sinon des pénalités sont appliquées. Adieu Justice, Bonjour Tristesse !”
Ces sujets sont absolument absents du débat public. Le corps social a en effet tendance à tourner le dos à ceux qui sont écartés.
Nous devons permettre à ces personnes de toujours faire partie de l’espèce humaine.
Be First to Comment